Extrait de la biographie de Mme A.
Mon père était fondamentalement intégriste. Cela se traduisait tant sur le plan de la religion que sur celui de la politique. Pour les aspects religieux, il suivait le courant catholique traditionnaliste de Mgr Lefèbvre, et partait régulièrement faire des retraites. En ce qui concerne la politique, il était favorable aux thèses d’extrême-droite défendues par M. Tixier-Vignancour [...] Ma mère, elle, avait un côté fantaisiste. Je pense qu'elle ne l’a jamais exploité à cause de son milieu, de son éducation, de l’époque. Par exemple pour le repas, on partait dix minutes avant pour acheter n’importe quoi à l’épicerie et après c’était du vite fait bien fait. C'était une grande optimiste et j'ai encore dans l'oreille sa phrase favorite : « Il y a toujours une solution ». Je pense que sans les conventions elle aurait pu faire tout autre chose de sa vie.
Entre mes deux parents c’était la guerre froide. Pour moi c’était épouvantable. Rien ne se disait, tout se passait en gestes. Dans le couloir par exemple, mon père bousculait sa femme pour passer. Ou à table il lui poussait le bras pour prendre ce qu’il désirait. Toujours sans rien dire. Dans ces cas-là, ma mère ne disait rien non plus, elle se contentait de pincer le nez. Cette guerre en était vraiment une... J’ai appris plus tard qu’il était arrivé à mon père d’aller voir sa belle-sœur, la sœur de ma mère, pour lui dire « ça ne va pas du tout, j’ai peur que M. s’en aille ». Ce n'est que bien des années après que j'ai compris qu'en fait, c'est ma mère qui était toute puissante. Mon père faisait son dictateur pour sauver la face mais c'est sa femme qui dirigeait tout.
Petite, il me terrorisait et je passais mon temps dans les jupes de ma mère. Je me revois, quand j'avais une dizaine d'années, en train de pleurnicher tout le temps. Je suis incapable de dire aujourd'hui pourquoi j'étais comme ça. Cela agaçait mon père et je l’entends encore : « Mais arrêtez de pleurnicher comme ça ! ». Il nous vouvoyait. Nous, les filles, on le tutoyait, mais lui nous vouvoyait. Pendant longtemps il a vouvoyé ma mère aussi.
Parfois en jouant dans la pièce qui jouxtait son bureau nous faisions trop de bruit. Il surgissait alors pour nous donner des coups de règle sur les mollets. Je me souviens aussi qu'il m’arrivait de me cacher dans les toilettes pour ne pas croiser mon père. J’avais le sentiment que ma présence, ou l’air que je déplaçais, lui était insupportable. C’était comme ça. Une fois, plus grande, levée pour aller à l’école, je suis allée dans la cuisine pour préparer mon petit-déjeuner. Lui se préparait un café et quand j’ai posé mon bol sur ma table, il l’a poussé. Il n’a pas dit un mot mais son geste signifiait « Bon allez, dégagez là, hein ! ». Pour moi ces gestes étaient extrêmement violents. Je me souviens m’être dit - j’avais entre quinze et dix-huit ans, je ne sais plus exactement - « Au moins s’il me violait physiquement, il y aurait des preuves et je pourrais porter plainte. Là, je ne peux pas porter plainte ».
Témoignage de Mme A.
Jean-Charles Terrien est un « Passeur ».
Il m'a accompagnée, m’a guidée dans les méandres de mon passé. Il a mis en forme, mis en ordre le désordre que j'avais dans la tête. Il a posé un cadre.
A l'écoute, il a été une oreille neutre. Un conseil, dans un grand respect de ma personne. Je ne me suis pas du tout sentie dépossédée de mon histoire. Jean-Charles sait mettre en confiance, à l'aise. Je me suis sentie libre de me raconter sans filtre.
Alors que je n'en parlais pas, il m'a amenée à m'interroger sur mes grands-parents. J'ai fait des recherches auprès d'une tante, d'un oncle. J'ai réalisé que mes racines donnaient une couleur, un fil conducteur à mon parcours.
Un échange a eu lieu après chaque rendez vous téléphonique d'une heure, une fois par semaine. Ce rythme me convenait. Je racontais comme ça venait. Il tapait mes paroles et m'envoyait ses écrits avec des remarques, des interrogations, des conseils...
Je rectifiais si besoin et on en reparlait au rendez-vous suivant.